samedi 24 mai 2008

HS #1 : enseigner, une belle vocation ou un métier ingrat?

HS: "hors-sujet", destiné à devenir une rubrique plus ou moins régulière, autodestructible, puisque mon blog est culinaire et que c'est sa seule et unique raison d'être. Cela ne m'empêche pas de m'intéresser à d'autres sujets très différents, de lire et de commenter des posts qui me touchent. J'admire des blogs comme celui de Massir pour son éclectisme, et encore plus des bloggeurs (ses) qui gèrent plusieurs blogs différents de front, comme mon amie Moghrama, mais je ne pourrai pas le faire.

Depuis quelque temps, à peu près 2 semaines, je n'ai rien publié. Quelques années plus tôt, j'avais le choix entre continuer mes recherches tous frais payés ou accepter un poste d'enseignante, j'ai choisi de faire ce métier. Je ne voulais venir écraser mes étudiants des tonnes de diplômes que j'aurais accumulés pendant 10 ans sans avoir jamais donné un cours, je voulais vivre tout simplement, faire ce métier que j'aime et que je vois mes proches, quelques membres de ma famille , faire depuis des générations, le reste viendra après.
La seule raison qui aujourd'hui me retient d'abandonner, ce sont mes étudiants, les voir évoluer, trébucher, se relever, avancer, prendre confiance en eux, réussir tôt ou tard. La seule, l'unique raison. A côté de cela, mille et une raisons d'abandonner:
- Je déteste les discours sur "la baisse du niveau", on nous sort la même rengaine à chaque fois, avec des sourires narquois qui relèvent les perles, des yeux écarquillés et un air outré. Le niveau n'est pas inné, qu'on se le dise une fois pour toute, il est acquis ...ou pas. Et c'est une donnée sociologique qui dépend de tellement de facteurs qu'on ne peut pas l'appliquer de façon homogène, banale et plate au public considéré. Les notes ne rendent absolument pas compte du "niveau" réel, pourtant, on n'a jamais réussi avec d'aussi bonnes notes. Allez donc expliquer à un gamin de 17 ans fort de ses notes gonflées qu'il doit tout reprendre à zéro ou presque...C'est à en devenir schizophrène!Que faire? Asséner la claque qui fera peut-être s'éveiller ces enfants inconscients de leurs lacunes héritées d'un système qui continue à marcher ( à écraser) comme si allait bien ou leur distribuer un bonbon et un diplôme juste pour la forme, puisque l'important est de participer...
- Mais pourquoi donc penser qu'on devrait s'apitoyer sur notre sort!! Un prof, c'est un paresseux qui travaille 2 jours par semaine, constamment en vacances, et en plus, il n'avance pas en thèse. C'est bien connu, on se défait de son travail, de sa préparation, de ses soucis, de ses réflexions comme d'une tenue lorsqu'on quitte notre lieu de travail. Une fois rentré chez soi, on ne prépare rien, on n'évalue pas, on ne corrige pas...Mais de quoi je me plains??? Je ne compte plus les heures que je fais en plus, juste pour rassurer mes élèves, ce qui faut bien appeler de l'excès de zèle quand je vois comme on se la coule douce ailleurs...
- Fière de ma décision de rester ici et de prendre mon poste, je suis allée voir un de mes profs qui m'a dit une phrase que je n'ai comprise que bien (trop) tard et qui résonne encore dans ma mémoire: "n'attendez aucune gratitude de votre institution, du système, il vous exploitera au maximum et vous jettera comme un vulgaire papier". Lorsque je vois la manière dont certains ont quitté leur travail après des années de bons et loyaux services, j'ai honte pour nous.
- Lorsqu'après cette torture, on parvient à faire progresser notre public, au pire, cela passera sous silence, au mieux, il y aura un "merci" dilué pour les supérieurs des supérieurs des supérieurs ou pour l"institution" qui a mérité cette félicitation et qui se forgera ainsi une belle réputation sur le dos des milliers de bêtes rampantes que nous sommes, nous qui nous crevons à la tâche. Nous, nous n'existons pas, les progrès comme le niveau sont des phénomènes paranormaux et inexpliquables. Le travail réel(fatigue, implication, effort) est inversement proportionnel à l'échelon, plus on monte en grade, moins on en fait, plus on est félicité, mécanique bien huilée.
- Lorsqu'il y a un problème, une protestation, une colère, une injustice, un incident, une erreur, c'est vers les bêtes rampantes qu'on se tournera. Tandis que nos intouchables se barricadent dans leurs bureaux confortables, à l'abri, les bêtes rampantes doivent recevoir la colère des élèves(qu'on adore) à la figure, subir leur crise bien légitime parfois, se faire agresser s'il le faut. Et alors? Il faut bien de la chair à canon.
Je pense avoir entammé la deuxième partie de ma vie professionnelle, celle où je prépare ma reconversion.

14 commentaires:

Clémence a dit…

c'est bien dit... Etant enseignante aussi, j'y pense aussi à la reconversion, vu ce que le gouvernement nous prépare...

bernie a dit…

Bonjour,

Je suis aussi enseignante mais en primaire. C'est mon second métier après avoir été ingénieur et j'ai "embrassé" ce métier pour donner un sens à mon travail! Au bout de 8 ans, j'aime toujours ce métier même si je viens de choisir de ne plus être devant les élèves. Pourquoi ?
Pour ne plus avoir à justifier à des parents soupçonneux mon système de notation, remettre en cause la sacro-sainte affirmation de leur rejeton, qui bien sûr a raison et aussi devoir expliquer que je serai absente car moi aussi, il m'arrive de devoir me soigner, me former, que j'ai aussi une famille. L'enseignement n'est pas un sacerdoce. On peut se le demander, vu le montant qui apparaît en bas de la fiche de paye !
Le discours ambiant ne peut que nuire à notre image : nous sommes les boucs émissaires du système. C'est facile de supprimer des postes et ça coûte moins cher que de vraiment donner des moyens pour les élèves.
Bon courage dans ta reconversion !

Anonyme a dit…

Enseignante en primaire également, je vis mal la façon dont on nous présente aux parents et la aàçon dont certains nous voit. Je bosse à 60kms de chez moi, je pars à 6h30 pour rentrer à 18h. Je bosse jusqu'à 23h chaque soir et je dois dormir le weekend (samedi et dimanche après-midi pour tenir le coup).
Et c'est vrai que quand je vois les heures que je passe à bosser, j'en ai marre d'entendre quand je fais mes courses: "De toute façon, les profs, c'est tous des fainéants!"
Mon mari a enseigné en fac et passait également des nuits blanches à corriger des copies et à préparer ses cours et aucune reconnaissance en retour.
C'est le plus dur pour moi et pourtant j'aime passionnément mon métier.

Moghrama a dit…

reconversion tu dis?!! ayant été enseignante moi aussi , je ne pensais pas que nos"confrères" du supérieur,nettement mieux lotis que le troupeau des"maîtres et maîtresses" pouvaient souffrir et se remettre en cause?
pour le reste , je ne peux pas commenter , je te dis seulement que j'ai lu tout le post en pleurant...

WALLADA a dit…

enseignante au secondaire depuis 21 ans , écoutez toutes , l'ingratitude c'est " made in Tunisia " alors ne soyez pas déçues , personnellement mon seul reconfortement c'est passer le savoir dans une société qui ne lit plus ésperant de sauver un peu de ce qui reste sans attendre un remerciment.

Emnah a dit…

Ton métier est noble et tu es une femme de coeur puisque tu l'exerces, je t'encourages à continuer, le système a été toujours ainsi mais le métier en soit le dépasse de loin par sa noblesse.

wissal a dit…

Coucou m petite Tunis, je suis désolée pour toi que tu sois autant déçus, mais il faut que tu saches qu'il n'y a aucun métier qui soit parfait, et des problèmes y'en et y'en aura dans tous les domaines, il faut juste que tu te concentre sur les bons côtés de la chose et ça ira mieux et puis dis toi que c'est les hormones!! ça t'aideras au moins a passer cette année!!! je suis sûre que cet état est passager, bon courage quand même quoi que tu fasses, gros bisous et bonne fête des mamans (même si tu es encore une demi maman ...dans peu de temps tu le seras inchalla entièrement, et tu pleureras de joie le jour ou il t'apporteras un petit dessin en disant c'est pour ta fête maman!!)
en attendant, gros bisous et bonne fête maman Tunis.

wissal a dit…

coucou tunis, j'espère que ça va, tes recettes et tes petits récits nous manquent; gros bisous!

Sosso a dit…

Mabrouk, dire et affirmer ton envie de reconversion est une délivrance.
Pour ne pas souffrir dans le système supérieur il ne faut pas le remettre en cause, c'est la clef du prof de fac heureux. 98% (je suis gentil) de ceux qui font la course pour être enseignants du supérieur ne cherchent que "le prestige" de la fonction, il parait que ça "fait chic" d'être enseignant du ta3lim 5ali/
@ wallada l'ingratitude n'est pas made in Tunisia, le concepteur est au nord de la Med .

Anonyme a dit…

Difficile constat... Mais une reconversion est toujours salutaire, dans un sens ou dans l'autre. De toutes façons ce lot de non remerciements et de presse citron vaut dans beaucoup d'endroit dans le public et aussi dans le privé ! Seuls ceux qui ont durablement la foi peuvent continuer mais je pense que c'est un métier usant...

Anonyme a dit…

Salut Tunis,
C'est quoi ce coup de déprime!! Wissal a raison, ne te pose pas trop de questions et prends le bon côté des choses. On en discute hors du blog si tu veux. Je partage ce que tu vis mais j'ai choisi l'épanouissement familial et personnel depuis 2 ans et je ne m'en porte que mieux face à un système ingrat. Bises. Leila.

didondouda a dit…

@Tous et toutes: merci beaucoup pour vos commentaires. En voyant que ces commentaires proviennent de lecteurs de différentes origines (pas seulement tunisienne), des enseignants de différents niveaux (pas seulement l'enseignement supérieur), je relativise un peu. C'était beaucoup moins un coup de déprime qu'un coup de gueule dû à une prise de conscience. Je ne ferai pas (plus...) passer mon métier avant ma vie, tout simplement. Et lorsque le besoin s'en fera sentir, j'en changerai. Tout simplement.

Anonyme a dit…

Très sage décision. Mais c'est très bien ce coup de gueule, ca te valorise au moins tu réagis. Bises.

Emnah a dit…

Si c'est ce qui te rend plus heureuse et plus épanouie, je suis contente pour toi.
Rabbi maak azizti, prends soin de toi.

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